Café philo franco-allemand

Comme c’était prévisible, la pandémie de Covid-19 commence, semble-t-il, à lâcher prise, laissant derrière elle son lot de morts et de tragédies : moyennant une adaptation plus ou moins importante — et plus ou moins réussie — des nations frappées par le virus, l’efficacité rationnelle des mesures sanitaires et des vaccins finira bientôt par triompher totalement de l’épidémie, comme l’humanité l’a déjà fait plusieurs fois par le passé. 

Mais cette crise ne sonne-t-elle pas comme un avertissement et n’annonce-t-elle pas des catastrophes bien plus redoutables ? Comme celle du réchauffement climatique, celle de l’empoisonnement des océans et des nappes phréatiques, celle de la disparition accélérée de ces milliers d’espèces vivantes qui forment la chaîne alimentaire … bref comme celles de la pollution généralisée de la planète ? Et les gouvernements ainsi que les populations, c’est-à-dire les hommes en général, sauront-ils entendre l’avertissement à temps ? Voilà les questions-clés qui orienteront le dernier de nos trois Cafés philosophiques consacrés au Coronavirus.

En effet, derrière toutes les réponses techniques, politiques, culturelles, qui s’esquissent aujourd’hui à cette question dans les sociétés modernes, il y a des positions et des cheminements philosophiques. Car, depuis longtemps, dans le secret des chambres de penseurs, la philosophie, cette inconnue, a préparé ce moment vers lequel nous allons : cette croisée des chemins, où se trouve aujourd’hui l’humanité occidentale, après qu’avec aveuglement et arrogance elle ait diffusée aux quatre coins de la planète sa précieuse civilisation techno-scientifique. Et à cette croisée des chemins, les demi-mesures ne suffiront peut-être pas.

Mais alors faut-il régénérer la morale en mettant les hommes face à leur responsabilité à l’égard du futur, comme le voulait Hans Jonas ? Ou bien faut-il qu’ils apprennent à nouveau à se tourner (mais autrement) vers ce Dieu d’Abraham qui leur avait jadis commandé de « soumettre la Terre » ? Ou ne faut-il pas plutôt une révolution politique ? Mais alors, est-ce pour aller vers la « décroissance » et revenir à une vie plus simple, grâce à une éducation différente qui réveillerait dans le « cœur » humain la voix de la nature, comme le voulait Rousseau ? Ou, pour sortir du gaspillage capitaliste, faut-il marcher (mais cette fois-ci sans caricature) vers ce « communisme scientifique »  — qui, selon Marx, serait la seule société propre à refonder l’« unité générique de l’homme avec la Nature » ? Ou faut-il une révolution culturelle plus profonde encore  — ce que Nietzsche nomme une « transvaluation de toutes les valeurs » — pour retrouver le « sens de la Terre » ? … 

À moins que, face à l’avenir sinistre qui se profile devant nous, nous ne nous décidions à entendre la parole énigmatique que Heidegger adressa jadis à un journaliste de Hambourg : « seul un Dieu peut encore nous sauver » …

Alain CROUZET